Pourquoi le jazz ? / En réponse à une question de l'IRMA2010-04-01
Pourquoi le jazz ?
En voilà une question ! Inutile ou essentielle ? A balayer d’emblée parce qu’on a vraiment autre chose à faire, ou à traiter enfin parce qu’on sent que le jeu en vaut vraiment la chandelle ? Prise de tête d’intello parisien ou vrai sujet ? Premier dilemme, prévisible bien sûr… Un cran plus loin, car on se pique inévitablement de jouer le jeu, on pense à sa propre histoire, que l’on romance encore un peu plus pour l’occasion, puis à la grande Histoire qu’on a lue et écoutée (ou l’inverse), et l’on se dit qu’on ne peut toujours pas trancher entre le hasard et la nécessité. Deuxième dilemme, vieux comme le monde… Alors on se regarde vraiment le nombril, et l’on reconnaît qu’on est aussi passionné par la question (qui ressemble furieusement à « pourquoi en suis-je là ? »), que désireux de la reporter à un lendemain (au moins un peu) plus chantant. Troisième dilemme, qui à ce stade n’en est plus vraiment un, car de guerre lasse on se dit surtout que c’est très bien ainsi.
Et c’est peut-être pour ça, le jazz : pour la volupté que l’on ressent dans ce permanent aller-retour entre la volonté d’en savoir toujours plus pour espérer comprendre, et de ne jamais en savoir trop pour parvenir à jouer ; pour cette culture du doute consubstantiel à l’évidence, qui se construirait progressivement dans l’ineffable des mots qu’on lui associe (et parce que le swing, d’ailleurs…) et des sentiments qu’on éprouve à le vivre… et pour la joie que tout ce jeu d’équilibriste procure, une joie de l’entre-deux, quelque part entre l’émerveillement et la mélancolie, certainement légèrement désabusée quand même, mais dont on se réjouit in fine qu’elle se substitue aux idéaux plus ou moins formatés du bonheur. Ne serait-ce que parce qu’on ne parvient décidément plus à penser la grandeur sans la décadence.
Une esthétique du XX° siècle pour une éthique du XXI° en somme… n’est-il pas si bon d’y croire ?
/ Avril 2010