Erosions / À propos d'Enzo Carniel2014-12-01
A quelles fins doivent servir nos moyens ? C'est en filigrane la question brûlante que nous pose Enzo Carniel, 27 ans, l'œil et le geste aussi souriants que le cœur.
De moyens, Enzo ne manque certes pas. Formé aux meilleurs bancs de l'éducation musicale républicaine, il abat ses cartes avec un naturel qu'on ne trouve qu'aux réels talents, et capte toute oreille même distraite avec ce sens militant de la fluidité qui semble tout lui permettre. Des lignes entrelacées aux torsions mélodiques et rythmiques qui toutes tiennent dans un groove (c'est quand même nettement mieux quand ça marche, non ?), en passant par le temps de résonances profondément méditatives, il montre ainsi à qui veut l'entendre que les raisons qui l'ont in extremis fait choisir la musique plutôt que la médecine sont à chercher loin, très loin.
Enzo est un pianiste, soyons-en sûrs. Il l'est d'autant plus que ceux qui le côtoient depuis un certain temps, dont l'auteur de ces lignes s'honore de faire partie, le savent doté d'une impressionnante capacité de travail, d’autant plus productive qu’elle se confronte à la somme des remises en question qu’on lui impose ou qu’il s’impose lui-même, sans ménagement.
Car derrière le sourire, la voix douce, et cette époustouflante technique à faire pâlir bien des rentiers de la musique, se cache une montagne de doutes, de ceux parmi les plus touchants, qui se demandent toujours comment servir avant de se servir. Et au premier rang de ceux-ci trônait encore récemment la question inévitable de savoir s’il était bien légitime de se lancer si tôt dans la gageure du solo.
Entre l'angoisse de mal faire et le risque de trop faire, il a donc su trancher de la plus belle des manières, celle qui cherche du sens en nous parlant des choses admirables et forcément périssables de la vie.
Enzo se met ici seul en scène, avec une gourmandise à l'ouvrage d'autant plus appréciable qu’elle exclut tout excès de pathos. Il joue, rejoue, et rejoue encore, comme pour chercher ce qu'il ne sait pas encore de lui-même, et ainsi façonner le début d'un parcours dont nous n'aurions à ce stade que quelques indices, par petites touches - c'est dire !
Un piano superbe, un lieu superbe, une équipe superbe, pour un pianiste superbe. De quoi nous faire croire encore à la possible réconciliation du beau avec le bien.
/ Décembre 2014